Bettencourt : quand une bisbille familiale menace la démocratie  - Affaire Justice Liberté de la presse Liliane Bettencourt
| 25/10/2010

Bettencourt : quand une bisbille familiale menace la démocratie

Image d’illustration © 704417|Pixabay|CC0 or Pixabay

C’est la meilleure de l’année, le pompon final. La seule juge indépendante planchant sur une affaire liée à Liliane Bettencourt est en passe d’être dessaisie du dossier…

En quelques heures, tout s’est emballé. Vendredi, Le Monde révélait que le procureur de Nanterre Philippe Courroye avait enquêté sur les communications téléphoniques de ses journalistes pour en connaître leurs sources. Pour la deuxième fois en un mois, le pouvoir s’assoit sur ses propres lois… à moins de considérer qu’une fuite dans la presse au sujet d’une petite embrouille entre une mère et sa fille soit un « impératif prépondérant d’intérêt public » ? Ce serait gênant, tout de même, car dès lors, n’importe quelle affaire pourrait l’être. Ce qui signifierait purement et simplement que la protection des sources des journalistes ne serait plus assurée en France ! En d’autres mots, la presse deviendrait une machine à publier des communiqués… Une République exemplaire, puisqu’on vous le dit.

Justice de choc

Dans la foulée, le proc’ a confirmé l’info, ajoutant que la juge d’instruction Isabelle Prévost-Desprez avait eu des contacts téléphoniques avec les journalistes (sans en connaître le contenu, paraît-il). Et le représentant du ministère de la justice d’affirmer qu’il allait demander son dessaisissement. Son chef direct, le procureur général de Versailles, Philippe Ingall-Montagnier, n’y a rien trouvé à redire, transférant derechef la requête à la Cour de Cass’, au motif que « dans le climat actuel, l’image et la sérénité de la justice ne sont plus lisibles au tribunal de Nanterre« . On ne saurait mieux dire…

Les mains dans le pot de confliture…

Ne vous y trompez pas. Si le procureur Philippe Courroye est un proche de Nicolas Sarkozy, ce n’est que pure coïncidence. S’il a déjà, lui aussi, rencontré des journalistes (raison pour laquellt il souhaite écarter Prévost-Desprez), ce n’est que pour les beaux yeux de la démocratie. Et s’il a récemment demandé un non-lieu en faveur de Jacques Chirac dans l’affaire du financement occulte du RPR, après avoir déjeuné avec lui, comme le rappelle le Syndicat de la magistrature, c’est par pure courtoisie.

En outre, au cours d’un entretien piraté, Patrice de Maistre expliquait à Liliane Bettencourt avoir vu Patrick Ouart, ancien conseiller pour les affaires judiciaires de Nicolas Sarkozy : « Il m’a dit [que] le président continue de suivre ça de très près […] En première instance on ne peut rien faire de plus, mais si vous perdez, en cour d’appel, on connaît très très bien le procureur« … Philippe Ingall-Montagnier, dont la femme Magali n’est autre que la conseillère Justice (*) du président du Sénat, Gérard Larcher ! Une intervention de l’Elysée ? Peut-être… mais uniquement pour s’assurer du bon fonctionnement la justice, soyez-en sûr. Confirmé par quelques notes saisies au domicile de Liliane Bettencourt, qui affirment qu’un défenseur de l’Héritière, l’avocat « Goguel prépare une note à remettre au directeur adjoint du cabinet du ministre de la justice, de façon à ce qu’il puisse nous dire où en sont les choses dans l’esprit du juge et quelle est la position du parquet« …

Préliminaires interminables…

Mais cet Ingall-Montagnier est aussi un grand humoriste. Grand seigneur, il a annoncé vouloir dépayser l’ensemble des dossiers concernant cette affaire. Or, la procédure pénale permet à la cour de cassation de dessaisir un juge, non un procureur. Seul le volet géré par l’intrépide Prévost-Desprez pourrait être dépaysé, tandis que les enquêtes préliminaires concernant les conflits d’intérêts et autres instructions illégales de la DCRI resteraient entre les pinces bien serrées de ce duo de choc « Ingall-Montagnier / Courroye »… couvé par le ministère de la Justice et l’Elysée. Zut alors !

Ce même vendredi, Liliane Bettencourt a annoncé son refus de se rendre à la convocation de la juge d’instruction… tandis qu’elle enchaine les interviews dans les médias « amis » : TF1, Paris-Match, Europe 1. Tout est dit…

(* MAJ 26/10 : un lecteur nous rappelle que la femme de Philippe Ingall-Montagnier, Magali Du Lac (épouse Ingall-Montagnier), est la conseillère Justice du président du Sénat, Gérard Larcher)