La reprise est là. Tous les matins dans vos kiosques à journaux préférés, elle vous tend les bras. Le PIB se redresse, le chômage se stabilise, les banques se remettent à tourner (en) rond, la bourse grimpe à vue d’oeil. Et pourtant, tout porte à croire que l’Économie reste coincée, les doigts dans la reprise…
Voir notre dossier : « Les doigts dans la crise »…
La presse l’affirme : « la crise fait maintenant partie du passé. Un sujet d’étude pour historiens »… J’exagère ? Si peu. Quoiqu’il en soit, les analystes font preuve d’un optimisme qui fait plaisir à voir, malgré les quelques doutes généralement glissés en fin d’articles ou d’interviouses. Nous pouvons donc maintenant nous concentrer entièrement à flipper des effets de la grippe A, sans avoir à redouter de nous faire licencier. Pourtant, un doute m’assaille…
Les Etats-Unis en équilibre instable
Aux Etats-Unis, la récession ralentit et les banques annoncent des montagnes de bénéfices. Certes. Mais les saisies immobilières battent des records (+7% en juillet – 11 600 biens saisis tous les jours) malgré les efforts des autorités fédérales pour limiter le nombre de procédures. La bombe à retardement des impayés [*] menace aussi d’exploser. Les fonds de retraites [*] touchent le… fond. Le chômage [*] ne cesse de grimper, malgré des mois de retards à l’enregistrement de dossiers et les sorties des statistiques des chômeurs en fin de droits. Le nombre de faillites d’entreprises [*] crève le plafond, y compris pour les banques [*] (81 en 2009, contre 25 en 2008). D’ailleurs, la Compagnie fédérale d’assurance des dépôts bancaires américaine (FDIC) a annoncé [*] que 416 de ces établissements financiers étaient en grandes difficultés. Leurs actifs cumulés représentent tout de même 300 milliards de dollars. Pour couronner le tout, les Etats sont au bord du gouffre [*]. Un peu partout, les administrations coupent les services publics les plus dispendieux, les dépenses sociales sont les premières visées. Chicago a récemment été obligée de fermer ses bureaux pendant trois jours pour réduire son déficit de quelques millions. Pas vraiment rassurant.
Pas mieux en France
Et en France ? La croissance revient, la production manufacturière se stabilise, le secteur bancaire retrouve des couleurs et l’immobilier semble se reprendre. Bien. Le chômage, par contre, c’est une autre histoire : juste 74 000 chômeurs supplémentaires en juillet, bien cachés dans la catégorie D dont tout le monde se fout [*]. D’ailleurs, les agences du Pôle Emploi d’Île de France ont fermé boutique [*], mardi dernier, pour pouvoir absorber les piles de dossiers d’inscription en attente avant le grand saut de septembre et l’arrivée de 600 000 jeunes sur le marché du travail chômage… De mois en mois, les industriels revoient systématiquement à la baisse leurs prévisions d’investissement pour l’année en cours : en juillet, la baisse est évaluée à 21% dans l’ensemble de l’industrie, malgré la hausse de 6% du secteur automobile [*]. Comment pourrait-il en être autrement puisque les banques ne jouent pas le jeu du crédit, pas plus en France qu’en Europe ? Le pays s’est engagé sur la voie de la déflation, ce qui dope artificiellement le pouvoir d’achat. Mais la remontée attendue des prix pour le quatrième trimestre risque de saborder le principal moteur de l’économie française : la consommation des ménages qui reste, pour l’heure, imperturbablement à la hausse, soutenant tant bien que mal une économie brinquebalante.
2.900 milliards de dollars
Alors, faisons le point. Du Sud au Nord, de l’Est à l’Ouest, les Etats ont investi 2.900 milliards de dollars [*], soit 5,3 % du PIB mondial, pour soutenir l’activité. Et ça fonctionne, puisque le système ne s’est pas (encore) effondré et qu’au contraire, certains chiffres donnent à penser que la reprise pointe le bout de son nez. Pourtant, on pourrait malicieusement objecter que finalement, les petits frémissements de l’économie sont bien faiblards en comparaison des sommes injectées. Ce à quoi répondent en coeur les analystes : « ce n’est qu’un début ». Qui vivra verra. Mais n’oublions pas que les Etats ne pourront pas continuer de subventionner l’Economie indéfiniment, et qu’il faudra bien que le secteur privé prenne le relais de la croissance. Or, les derniers mois ayant totalement siphonné les finances des entreprises, celles-ci sont maintenant globalement contraintes d’aller toquer à la porte de leurs banquiers, qui reste désespérément close…
Chômage en hausse, baisse de la consommation, diminution de la marge de manœuvre des Etats qui voient leurs déficits littéralement exploser, assèchement des entreprises… si c’est ça qu’on appelle « reprise », mieux vaudrait revenir très vite à la crise.