Lois jamais promulguées, promulguées mais non appliquées, appliquées bien que pas encore votées, appliquées mais inapplicables… Le petit jeu de lois auquel se prête le gouvernement a de quoi faire tourner la tête aux juristes les plus aguerris…
Pour pouvoir être appliquée, une loi doit être « votée » au parlement. Certes. Mais, sauf exception, elle doit aussi être « promulguée », c’est à dire que le gouvernement doit en publier un « décret d’application » qui fera référence. C’est seulement à ce moment-là que les administrations concernées sont informées de l’entrée en vigueur du nouveau dispositif. Mais de temps en temps, et de plus en plus, quelques grains de sable viennent gripper la belle mécanique…
1/ Lois votées mais non promulguées
Cas d’école qualifiable d’« obstruction gouvernementale ». Quelques chiffres : 245 lois votées depuis 1981 sont toujours (totalement ou partiellement) en attente de décrets, ce qui correspond à 16,3 % des 1505 lois adoptées depuis juin 1981. La moitié des mesures votées au cours des années 2001-2002 et 2006-2007, et les trois-quarts de celles de l’année 2007-2008 étaient toujours inapplicables au 30 septembre 2008. Ainsi, des lois datant de 1984 attendent toujours que les gouvernements successifs se décident…
2/ Lois appliquées avant leur vote
Deux possibilités. La loi ne pouvant pas être rétroactive (sauf exception), toutes les propositions récentes allant dans ce sens ont été retoquées par le Conseil Constitutionnel. Il y en a (pourtant) qui ont essayé, mais ils ont eu des problèmes, comme Rachida Dati avec son projet de rétention de sûreté, en février 2008. Autre possibilité, la gentillesse des citoyens qui acquiescent aux demandes du Législateur en chef, sans l’accord du parlement. C’est le cas de la suppression de la publicité sur France télévisions. Ce sera aussi peut-être le cas de la riposte graduée, comme l’a demandé hier Christine Albanel aux fournisseurs d’accès Internet (FAI).
3/ Lois promulguées non appliquées
L’épisode épique du CPE en est un exemple flagrant. Une loi est votée, promulguée, mais on demande aux citoyens de ne pas l’appliquer. Idem pour le pacte de stabilité européen ou les règlements assurant la concurrence libre et non faussée, sur lesquels l’Union Européenne s’est allègrement assise en permettant les plans de sauvegarde de l’économie limités à certaines entreprises sélectionnées sur des critères totalement subjectifs.
4/ Lois contredites par leurs décrets d’application
C’est ce qui est en train de se passer pour l’amendement PNPP, déjà évoqué dans ces colonnes. Le gouvernement a rédigé un projet de décret qui est contraire à l’esprit de l’amendement voté par les parlementaires. Idem pour la loi de modernisation sociale (2002-73). Entre autres.
5/ Lois promulguées, appliquées, mais bancales
La loi du 5 mars 2007 aurait dû faire parler d’elle, mais l’information est passée totalement inaperçue. Votée (et promulguée) suite aux erreurs de l’instruction des procès d’Outreau, elle instaurait 91 pôles censés épauler les juges d’instruction dans les affaires les plus complexes, et elle est aujourd’hui remise en cause pour vice de procédure. Conséquence : des dizaines d’instructions criminelles sont menacées d’annulation.
Autre exemple : pourtant votée pendant l’été 2007, la loi sur le paquet fiscal devait encadrer l’exorbitance des salaires et autres bonus de départ des grands patrons. Nicolas Sarkozy l’avait promis. Les chèques vacances patronaux devaient être soumis à résultat. Mais rien n’a changé. Du coup, on s’en remet à des codes éthiques… en toc ?
Sans parler de toutes ces ordonnances ou autres décrets pris sans le consentement des parlements… Mais la loi, finalement, on s’en fout ?