La médicalisation des émotions aboutit à une société sans sagesse  - Médecine Médicaments Santé Santé mentale Santé publique Société
| 16/04/2009

La médicalisation des émotions aboutit à une société sans sagesse

Image d’illustration © 704417|Pixabay|CC0 or Pixabay

Les émotions sont des maladies comme les autres, et traitées comme telles. Situation cocasse, dans une société médiatique qui court en permanence après les sensations fortes et, si possible, anxiogènes. De fait, bien-être et sagesse sont relayés au rang d’antiquités.

La timidité, la tristesse liée à un deuil… des émotions bien naturelles à priori, mais scientifiquement classifiées aux côtés des pathologies les plus graves, notamment dans le « Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux », véritable bible de la psychiatrie internationale élaborée par l’American psychiatric association (APA). Bien sûr, une fois la « pathologie » caractérisée, le traitement médicamenteux en découle, le plus naturellement du monde. Et la consommation d’antidépresseurs et d’anxiolytiques explose littéralement.

Effacer les souvenirs dérangeants

Même topo pour les souvenirs traumatiques ou simplement déplaisants. Cachés dans les recoins les plus sombres de nos cerveaux, il faut les supprimer d’urgence. Une pompée de propanolol y suffira, selon les résultats d’une étude de l’université d’Amsterdam, publiée le mois dernier dans la revue Nature Neuroscience. Pourtant, les souvenirs modèlent nos personnalités et nos émotions, au coeur de nos consciences. Une façon de nier notre propre nature.

Aujourd’hui, les médicaments et autre compléments alimentaires envahissent nos vies, comme si le bonheur pouvait sortir d’une pilule. Disons plutôt que le sentiment d’agir pour améliorer le quotidien permet d’occulter le manque de considération de notre société pour le bien être de l’individu. Chacun sa galère. Une situation ubuesque où le mythe médico-pharmaceutique d’une vie sans souffrance et sans émotion côtoie la recherche médiatico-politique permanente des sensations les plus anxiogènes.

Une société schizophrénique

Mais cet état de fait quasi-schizophrénique ne se limite pas aux seuls troubles psychologiques. C’est toute la société qui va dans ce sens. D’un côté, la « science » justifie la diffusion massive de dizaines de milliers polluants dans l’environnement, ne pouvant fournir de preuve absolue de toxicité. Tandis que de l’autre côté, et sans plus d’arguments, elle met en place un carcan médico-agro-alimentaire totalement hygiéniste. D’un côté, le système actuel (depuis une trentaine d’années) favorise la pauvreté, les inégalités, l’exclusion, le stress… De l’autre, les autorités instaurent en permanence de nouvelles dispositions toujours plus répressives à l’encontre des revendicateurs. Idem dans le domaine de l’urbanisme, de la culture… Aucune tête ne doit dépasser, et les cagoules sont interdites.

La politique du fait divers

Mais comment peut-il en être autrement, dans un monde bipolaire régi par les intérêts financiers et les émotions populaires suscitées ? Le pouvoir doit à la fois répondre aux nécessités économiques (moins de régulation et moins de prévention, trop couteuses et bridant l’économie) et combattre les réactions revendicatives (et violentes) d’une population qui s’angoisse et qui s’énerve.

Il y a deux possibilités à l’expression d’un malaise anxieux : l’extériorisation et l’intériorisation. L’extériorisation est de plus en plus réprimée par des Etats qui tolèrent de moins en moins la contradiction. D’aucuns proposent même de détecter les comportements « déviants » dès le berceau. La seule expression « autorisée » des peurs réside donc dans l’introversion, qui aboutit presque mécaniquement aux troubles anxieux. Qu’il faut traiter de toute urgence, vive la médecine ! De fait, la sagesse est devenue une notion archaïque, et la recherche du bien-être une tendance contreproductive. Rien de plus.

« Je n’ai jamais rien entendu d’aussi absurde que la phrase de Socrate : Connais-toi toi-même » (Nicolas Sarkozy, cité par Michel Onfray)