Longtemps, on a pensé que la résignation était une faiblesse. Les neurosciences prouvent l’inverse : c’est (juste) un mécanisme de survie. Et surtout, un mécanisme réversible. Un geste qui fonctionne, un choix réel, un progrès minime… et tout repart.
Avant de te jeter par la fenêtre, lis l’article jusqu’au bout, frérot·e 🙏
Les psychologues appellent cela l’impuissance acquise (ou apprise, y a fight), mais le phénomène dépasse largement les laboratoires : c’est ce qui nous arrive quand, après avoir essayé encore et encore, on se persuade que nos actions ne servent plus à rien. Ce renoncement n’a rien à voir avec la flemme ou le manque de courage. Il consiste en un mécanisme de protection, quelque chose que le cerveau installe pour simplement se préserver. Et cette mécanique-là a été observée pour la première fois à la fin des années 60 (1960, au cazou vous consulteriez cet article dans quelques années), dans une expérience qui allait devenir l’une des plus célèbres de l’histoire de la psychologie.
Forfait mental
À l’Université de Pennsylvanie, Martin Seligman et Steven Maier (légèrement soupçonnés d’avoir bossé pour la CIA) soumettent trois groupes de chiens à des conditions différentes (researchgate.net, achology.com). Les premiers ne reçoivent aucun choc électrique, les seconds peuvent arrêter le choc en appuyant sur un bouton, les troisièmes ne peuvent rien faire. La seconde phase est censée être simple : une barrière basse à franchir suffit à échapper au choc. Les chiens qui avaient eu du contrôle sautent immédiatement. Ceux qui n’avaient rien subi s’en sortent tout aussi bien. Mais les chiens du groupe sans contrôle restent couchés, immobiles, comme si la barrière n’existait pas. Ils pourraient s’échapper en deux temps, trois mouvements, mais leur cerveau semble avoir appris que l’action est inutile. C’est cette passivité paradoxale qui donnera son nom au phénomène : la learned helplessness, l’impuissance acquise.
Impuissance à qui ?
Très vite, les chercheurs tentent de savoir si les humains réagissent de la même manière. Pas con. Et la réponse tombe, un peu brutale : bah oui. Les expériences sur les anagrammes en 1975 le montrent clairement. Les participants à qui l’on donne d’abord des anagrammes impossibles abandonnent presque immédiatement lorsqu’on leur propose ensuite des anagrammes simples. Ils ne cherchent même plus. Ils déclarent qu’ils sont « nuls », qu’ils « n’y arrivent jamais », alors que la solution est à portée du neurone le plus effilé. Le simple fait d’avoir vécu une situation où l’effort ne changeait rien a suffi à fausser leur perception d’eux-mêmes. (researchgate.net)
Bug ou feature ?
Une autre expérience, tout aussi révélatrice, porte sur des puzzles à résoudre dans un environnement sonore contrôlé ou non. Les volontaires qui peuvent arrêter un bruit dérangeant résolvent ensuite leurs puzzles sans aucune difficulté. Ceux qui subissaient un bruit impossible à stopper montrent une baisse nette de performance, comme si leur cerveau passait en mode économie d’énergie. Le bruit n’est plus là, mais le sentiment d’incontrôlabilité persiste. C’est ce qui rend ce phénomène si puissant : il survit très longtemps à la situation qui l’a déclenché. (allpsych.com)
À partir des années 2000, les neurosciences permettent de voir ce qui se passe dans le cerveau en direct. Cassade réalisée par des professionnels, à ne pas reproduire chez soi. Les imageries cérébrales montrent une amygdale suractivée dans les situations où l’individu ne peut rien contrôler. Cette zone qui gère la menace se comporte comme si le danger était permanent. Le cortex préfrontal, lui, réduit son activité : il ne planifie plus, il n’anticipe plus, il attend que ça passe. La dopamine chute, la motivation aussi. Le cerveau se met littéralement en mode veille émotionnelle et cognitive. Ce n’est pas de la paresse, mais une stratégie d’économie interne, profondément inscrite dans le système. Et si tu es arrivé·e jusque-là… profondément inscrite dans TON système, frérot·e. (cambridge.org, nature.com, pubmed.ncbi.nlm.nih.gov)
De la contagiosité
Plus étonnant encore, l’impuissance acquise est contagieuse. Des études animales montrent que des souris peuvent développer un comportement d’abandon après avoir observé d’autres souris ne pas réussir à contrôler leur environnement. Chez l’humain, l’effet se retrouve dans les classes d’école, dans les entreprises, dans les groupes sociaux. Il suffit d’un environnement imprévisible, d’un manager incohérent ou d’un climat éducatif autoritaire pour que tout un groupe commence à renoncer, parfois sans même s’en rendre compte. L’impuissance acquise devient alors un phénomène collectif, presque culturel. (frontiersin.org, pmc.ncbi.nlm.nih.gov, springer.com, biomedcentral.com)
The reboot reboost
Et pourtant, cette mécanique est réversible. C’est là que la science apporte une note d’espoir. C’est rare, autant en profiter. Il suffit de réintroduire un minimum de contrôle réel pour que le cerveau reparte de l’avant : un succès modeste, une consigne claire, un choix possible, un petit progrès tangible. Les expériences montrent que des sujets très résignés peuvent se remettre à agir dès qu’une action produit un effet visible. Le lien entre effort et résultat est comme une étincelle : il suffit qu’elle se rallume pour que tout le système se remette en marche. (pubmed.ncbi.nlm.nih.gov, psycnet.apa.org, pubmed.ncbi.nlm.nih.gov, psycnet.apa.org)
En réalité, l’impuissance acquise révèle quelque chose d’essentiel sur nous : nous avons besoin de sentir que nos gestes comptent. Sans ce lien, la motivation s’effondre, le sentiment de compétence aussi, et l’on finit par se comporter comme si tout était déjà joué. Ce n’est pas un défaut moral, ce n’est pas de la faiblesse, c’est un mécanisme neurologique mesurable et mesuré. Et une fois qu’on le comprend, on voit le monde différemment : on voit comment certaines éducations brisent la curiosité, comment certains environnements de travail éteignent la créativité, comment certains contextes sociaux installent un fatalisme durable.
Informer est important. Les mots ont un sens.