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| 14/12/2025

« Un mécanisme de survie désespéré » : chez les ours polaires, l'ADN réécrit l'avenir face à la crise climatique

Image d’illustration © hansjurgen007|Unsplash|Unsplash

Les ours polaires arctiques sont menacés d’extinction totale d’ici la fin du siècle, mais des scientifiques ont identifié une petite lueur d’espoir… génétique.

L’ours polaire (Ursus maritimus), majestueux emblème de l’Arctique, est en péril. Dans une région qui se réchauffe près de quatre fois plus vite que le reste du globe, les projections scientifiques sont glaçantes : plus des deux tiers de sa population pourraient disparaître d’ici 2050, l’extinction totale étant envisagée avant la fin du siècle. Pourtant, au cœur de cette sombre réalité, la nature nous réserve parfois d’étonnantes surprises. Une étude récente, menée par la Dr Alice Godden et son équipe de l’Université d’East Anglia (UEA) et publiée dans la revue Mobile DNA, révèle un phénomène génétique d’une ampleur inédite : certains ours polaires sont en train de « mettre à jour » leur génome pour s’adapter au changement climatique.

Quand les gènes sautent, l’ADN rebondit

Cette découverte, une « première mondiale » pour un mammifère sauvage, met en lumière une réaction biologique fondamentale. L’analyse de 17 génomes d’ours polaires groenlandais a mis en évidence une activité accrue des transposons, aussi connus sous le sobriquet de « gènes sauteurs ». Il faut imaginer ces gènes comme de petits fragments d’ADN capables de se dupliquer et de s’insérer à différents endroits du génome. Chez nos ursidés, ces gènes sauteurs sont en pleine effervescence, « réécrivant » des sections de l’ADN à un rythme soutenu. Et ce phénomène n’est pas aléatoire, mais corrélé aux spécificités environnementales et climatiques locales. L’adaptation génétique fait du sur-mesure.

Tant qu’il y a de l’ADN, il y a de l’espoir

Les modifications génétiques détectées étaient en effet plus fréquentes dans les populations les plus affectées par les hausses de température (au sud). Un « gène sauteur » particulièrement actif a été repéré dans une zone cruciale pour le développement neurologique, suggérant une possible reconfiguration cérébrale. Un autre a été localisé près d’un gène lié au métabolisme des lipides, une adaptation astucieuse alors que la raréfaction des phoques (leur source principale de lipides) les pousse vers un régime moins riche, à base de végétaux. Le Dr Godden souligne l’importance de ces recherches pour des stratégies de conservation ciblées.

Cette découverte établit donc un lien direct et statistiquement significatif entre l’augmentation des températures et des altérations de l’ADN chez les ours polaires. En clair : face au réchauffement climatique accéléré, certains ours ne se contentent pas d’attendre passivement. Ils réagissent au niveau le plus fondamental de leur être, la génétique.

Une « lueur d’espoir »… pas un totem d’immunité

Faut-il pour autant imaginer ces ours « améliorés » comme les bénéficiaires d’une nouvelle voie de survie inespérée ? Dr Godden tempère cet optimisme. Elle explique que ce « mécanisme de survie désespéré face à la fonte de la banquise […] offre certes un certain espoir, mais cela ne signifie pas pour autant que les ours polaires sont moins menacés d’extinction. Nous devons continuer à faire tout notre possible pour réduire les émissions mondiales de carbone et ralentir la hausse des températures ».

Le réchauffement s’emballe, l’ADN tempère

En effet, l’adaptation a ses limites. La vitesse et l’ampleur des changements climatiques que nous imposons dépassent la capacité d’ajustement biologique. La fonte accélérée de la banquise, la fragmentation des habitats, la raréfaction des proies : ces défis cumulatifs ne peuvent être résolus par quelques gènes sauteurs, aussi zélés soient-ils. La Dr Godden précise que la prochaine étape de ces travaux consistera à examiner d’autres des vingt sous-populations d’ours polaires réparties à travers le monde. Elle espère que ces recherches mettront en évidence « l’urgence d’analyser le génome de cette espèce précieuse et énigmatique avant qu’il ne soit trop tard ».

Cette capacité d’adaptation génétique n’est pas un joker universel contre la crise climatique. Elle témoigne avant tout de l’incroyable ingéniosité du vivant face à une pression environnementale extraordinaire. La vie se bat jusqu’au dernier brin d’ADN. Mais la balle, elle, est toujours dans notre camp.

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