Des centaines d'euros par an : les craintes des enseignants qui financent l’Éducation de leur poche  - Éducation Enseignement Finance Ministère de l'éducation Pouvoir d'achat Professeurs des écoles
| 16/12/2025

Des centaines d'euros par an : les craintes des enseignants qui financent l’Éducation de leur poche

Image d’illustration © nathan_cima|Unsplash|Unsplash

Chaque année, des centaines de milliers d’enseignants français sortent leur carte bancaire pour acheter ce que l’école ne fournit plus. Un geste répété, discret… mais lourd sur le budget. Et surtout, de moins en moins accepté.

92 % des enseignants payent de leur poche entre 297 et 410 € en moyenne par an.

Les chiffres confirment l’ampleur du phénomène. Une enquête de la société Tralalère, publiée en janvier 2025, révèle que 92,2 % des enseignants de maternelle et d’élémentaire financent eux‑mêmes du matériel ou des ressources numériques. L’étude, menée auprès de 1 787 répondants, décrit un phénomène massif et généralisé : 297 € dépensés en moyenne par an, 17 % qui dépassent les 500 €, et certains plus de 2 000 €, allant jusqu’à acheter du mobilier pour leur classe.

Les syndicats dressent un constat encore plus brutal. Le SE‑Unsa indique que 92 % des enseignants interrogés déclarent avoir déboursé au moins 300 € en 2024, pour une moyenne de 410 €. Un quart dépasse les 500 €. Papier, feutres, livres, outils numériques, abonnements, mobilier… une véritable économie parallèle, assumée par les profs face à un « déficit chronique » reconnu par le ministère, aggravé par des procédures de remboursement alambiquées et inefficaces.

Petit exercice de style : 850 000 enseignants en France x 300 € = (roulement de tambour)… 255 millions d’euros ! Une paille…

Ce contexte matériel ajoute une couche de lassitude à un métier déjà plombé par un profond malaise. Dans son baromètre 2025, l’UNSA Éducation rappelle que seuls 22 % des personnels recommanderaient leur métier à un jeune. Une représentante syndicale résume : « L’école est le ciment de la démocratie. S’il se fissure, c’est toute la société qui se fragilise. »

Des profs motivés… des comptes bancaires épuisés

Paradoxalement, les études internationales montrent des enseignants toujours attachés à leur métier. Selon la dernière enquête TALIS de l’OCDE, 79% des enseignants français se disent satisfaits de leur emploi, un chiffre certes élevé, mais qui place tout de même l’hexagone en queue de peloton. Et dans cette même étude, seuls 4% des enseignants trouvent leur profession valorisée. La passion est là, intacte. Mais dans les classes françaises, elle se heurte à une dévalorisation et à des moyens insuffisants.

Éducation gratuite ? Sauf pour ceux qui l’enseignent.

Entre engagement professionnel et bricolage matériel, les enseignants maintiennent debout un système qui compte trop souvent sur leur dévouement… et leur portefeuille. Une réalité longtemps silencieuse, aujourd’hui largement documentée par les chiffres et par leurs témoignages. 20minutes en a récolté quelques uns :

  • Corinne, enseignante de primaire près de Sedan (Ardennes) : « J’ai fait les comptes à la fin de l’année scolaire : j’ai dépensé près de 500 euros entre le matériel créatif, les jeux, les méthodes et les cahiers. Sauf que cet argent, je l’ai mis dans ma classe, pas pour payer mes factures. A un moment, ça coince. »
  • Charlotte, enseignante de français, théâtre et cinéma en lycée à Marseille (Bouches-du-Rhône). « J’achète des fournitures et de nombreux livres, chers, pour la préparation des cours. Je fais aussi des photocopies couleur à la maison pour mes élèves, et n’hésite pas à leur donner des crayons et des cahiers. Quand j’ai eu un coup dur financier, en période de forte inflation, cela n’a pas été simple ». Sa « rancœur » tient au fait que l’argent dépensé « ne soit même pas une question », alors que ses amis travaillant dans le privé ont des employeurs qui fournissent « agenda, stylo, cahier, ordinateur et téléphone professionnel ».

« Le jour où plus aucun enseignant ne mettra d’argent, ce sera la fin »

  • Muriel, près de Poitiers (Vienne) : « Cela fait tellement longtemps que ces achats personnels pour la classe sont dans les mœurs, que je n’ai jamais rien réclamé à ma direction ». Après réflexion, la sexagénaire estime que « les enseignants plus jeunes sont plus exigeants [qu’elle], car nous faisons un métier malheureusement peu payé et encore moins valorisé ».
  • Jean-François Gerrero, professeur des écoles dans la région de Béziers : « Nous avons trop normalisé de dépenser notre argent, il faut en parler, il faut que ça change. Car le jour où plus aucun enseignant ne mettra d’argent [personnel] dedans, ce sera la fin de l’école publique. »

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