Empêtrée dans l’affaire Woerth/Bettencourt, la majorité tente de discréditer les médias Internet, Mediapart en tête. L’occasion pour nous de revenir sur la scission évidente qui existe entre journalistes sérieux et adeptes de l’église de Webologie…
[Reprise d’article du 14/09/2009]
Il y a journaliste et journaliste. Qu’on se le dise. Le premier est sérieux, propre sur lui, il vérifie ses sources et recoupe ses infos. Le second passe ses journées sur Youtube, Twitter et Wikipedia, sa bible. Il aboie dès qu’un cheveu dépasse et chercherait des poux à une chauve souris, pour lui soutirer la preuve de l’existence de Batman…
Profond
Mais, lorsqu’une vidéo dérangeante repoussée par les télévisions fait un tollé sur la toile, mise en ligne sur le site d’un des plus prestigieux quotidiens français (Le Monde), le bon journaliste titre « L’affaire Hortefeux, un nouveau piège tendu par internet aux politiques« . Correction oblige, il se sera auparavant permis de faire réagir les défenseurs des personnes impliquées dans l’affaire… avant même de l’évoquer, comme la glorieuse TF1 ou le fulgurant Figaro dans les affaires récentes « Hortefeux – Seignosse », « Sarkozy – Faurecia » et « Woerth/Bettencour ».
Courtois
Un journaliste efficace est aussi un hôte courtois. Il s’inquiète du sort de ses invités. Il ne répète jamais la même question, il n’insiste jamais sur les points d’achoppement. Un ministre a été viré par téléphone par un dictateur africain ? Silence radio de l’Elysée, repris en écho par le journaliste attentionné qui se focalisera plutôt sur le fléau de la grippe A. Le vrai problème du moment, qui menace le système solaire tout entier. Le bon journaliste sait mettre ses sentiments en veilleuse, pour jouer le rôle du Bourreau licenciant un salarié réfractaire à ses propres idées.
Diplomate
Un journaliste aguerri arrondit les angles, acceptant après-coup de diffuser des propos non tenus par son interlocuteur. Comme le rédac-chef du Parisien se l’est permis lors d’une interview de Nicolas Sarkozy. Un journaliste authentique publie systématiquement les communiqués officiels, seuls dignes de foi. Il se met à danser sur les tables lorsque le président annonce faussement la vente de plusieurs Rafale au Brésil. Il ne moufte pas lorsque le même président enchaine les incohérences, les imprécisions, voire les mensonges à la cadence d’un Benny Hill accéléré. Il propose en outre une interview fleuve de 10 pages au chef de l’Etat, politiquement équilibrée par une proposition (refusée) de deux pages de questions-réponses à la cheftaine de l’opposition… sur la loi HADOPI.
Sûr de lui
Un vrai journaliste ne se contredit pas, il n’admet pas ses erreurs… puisqu’il n’en commet pas. Si vraiment il n’a plus d’autre choix que d’expliquer un malencontreux « oubli », il condamnera Internet et ses litanies de « rumeurs » non recoupées (cf. Pernaut dans l’affaire « Woerth/Bettencourt »). Car ses vérifications à lui prennent des jours, voire des semaines, d’où le retard à l’allumage… D’ailleurs, un bon journaliste ne consulte jamais Internet. Non, il pianote ses articles sur sa machine à écrire et les envoie par Telex ou pigeon voyageur.
Déontologue
Un bon journaliste accepte sans sourciller la manne de plusieurs dizaines de millions d’euros que lui propose l’Etat. Il diffuse les publicités gouvernementales comme si de rien n’était. Un moindre mal. Il s’incline aussi quand Nicolas Sarkozy lui intime l’ordre de publier une charte déontologique ou d’enquêter sur ses collègues ayant laissé fuiter une info dérangeante… sur le Web.
« Pourquoi acheter un journal quand on peut acheter un journaliste ? » disait Bernard Tapie… mais il parlait sûrement des adeptes de l’Église de la webologie…