Deux tiers des cancers seraient dûs à la « malchance » plutôt qu’aux facteurs environnementaux, alimentaires, génétiques. La belle affaire…
Oyez, citoyens ! Ne vous inquiétez plus pour les pesticides que vous mangez, buvez ou respirez. Les perturbateurs endocriniens, l’amiante ? Du pipeau. Et puis… Arrêtez aussi de vous faire mal à courir sous la pluie, ça ne sert à… pas grand-chose. Les dés sont jetés : c’est le hasard qui décidera de votre cancer ! Et la meilleure façon de l’éviter, c’est de croiser les doigts ! Si on vous le dit.
Dans leur étude publiée dans le magazine Science, les chercheurs Bert Vogelstein et Cristian Tomasetti ont tenté de comprendre pourquoi certains tissus du corps humain sont des millions de fois plus sujets à l’apparition de cancers que d’autres. Pour 22 des 31 tissus pris en compte (environ deux tiers), ils ont réussi à corréler le nombre de divisions de cellules souches et le risque de développement du cancer. Pour faire simple (donc un peu faux, forcément…) : plus un tissu est gros, plus il y aura de divisions cellulaires tout au long de sa vie (oui, ça marche comme ça) et plus le risque d’erreur (engendrant un cancer) au cours de ces divisions est élevé. Voilà… ♪ ♫
Une étude financée par la Française des Jeux ?
Premier problème, d’ordre sémantique : dire qu’une corrélation a été trouvée pour deux tiers des tissus étudiés n’équivaut en rien à dire que « deux tiers des cancers » sont concernés (ce qui a été abondamment rapporté par la presse) ! Il y a une différence (de taille) entre les types de cancers et le nombre de cancers. Mais c’est un détail. On ne va pas en faire une maladie.
Au petit bonheur…
Deuxième problème, bien plus important : en quoi cette corrélation permet-elle de dire que la « malchance », ou le « hasard », a plus d’influence que les facteurs génétiques ou environnementaux ? Rien. Et c’est affligeant. A moins de considérer – comme nos chercheurs de choc l’ont fait – que l’erreur fatale intervenant lors d’une division cellulaire est spontanée et totalement aléatoire. Or, nous savons depuis des lustres que c’est faux. Les cancérogènes externes (pesticides, amiante, nanoparticules, tabac, perturbateurs endocriniens, stress…) jouent un rôle crucial dans ce phénomène. En somme, cette étude revient à dire : « plus vous roulez longtemps, plus vous avez de chances d’être victime d’un accident de la route, donc l’accident est dû à la malchance », sans prendre en compte le taux d’alcoolémie des chauffards, la vitesse ou l’état des véhicules, par exemple. Voilà… ♪ ♫
Juste une question, à l’attention de nos valeureux scientifiques (et accessoirement aux journalistes qui ont sagement relaté la nouvelle sans sourciller d’un iota) : un ouvrier français a dix fois plus de risque de mourir d’un cancer (en général avant 65 ans), qu’un cadre supérieur. Est-ce à dire qu’un ouvrier a dix fois moins de chance qu’un cadre supérieur ? Pauvres guignards… Ajoutons qu’entre 1984 et 2012, le nombre annuel de nouveaux cas est passé, en France, de 150 000 à 355 000. Vraiment pas de chance !
Pour ceux qui veulent rigoler un peu, voir le site http://tylervigen.com, qui s’amuse à corréler (à la perfection) les torchons et les serviettes. Au hasard :
– Consommation de fromage par Américain et Nombre de personnes mortes emmêlées dans leurs draps (2000 – 2009). Corrélation : 0.947091.
– Taux de divorce dans l’état du Maine et Consommation de margarine par habitant US (2000 – 2009). Corrélation : 0.992558.
– Nombre de personnes mortes en tombant de leur fauteuil roulant et Prix d’un paquet de 450 grammes de chips (1999 – 2005). Corrélation : 0.971706.
La citation du jour : « Dans 95% des occasions où ils n’ont rien à dire, 99% des commentateurs sportifs donnent des statistiques » (anonyme). Et visiblement, ça marche aussi pour les scientifiques…